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25 octobre 2024
Une université d’impact : la technoscience dont vous êtes le héro
La rectrice a lancé la vidéo promotionnelle de l’Université Laval lors du Conseil universitaire de septembre qui servira de carte de visite jusqu’en 2028. Le script du vidéo vise à illustrer une seule et même destinée de la communauté universitaire, celle du savoir technique appliqué au service des défis contemporains, afin de mettre de l’avant le slogan Une université d’impact collectif. À travers une vision triomphante des sciences appliquées, la vidéo raconte l’histoire d’un chercheur, bon père de famille s’occupant de ses deux enfants, qui, rempli d’espoir, entreprend d’abattre des « géants » et d’ouvrir un avenir meilleur par le superpouvoir de la science. Il est soutenu dans cette quête par son équipe et une étudiante, elle-même aspirante à la diplomation. La chanson « Vous êtes ici », de Patrice Michaud, boucle la vidéo par l’extrait choisi « les géants sont petits, ouh ouh », ce qui est particulièrement ironique, sachant que ce texte critique vertement le culte de l’image et du confort à tout prix.
D’emblée, la vidéo offre une vision séduisante du savoir comme force transformative et collective. Toutefois, le savoir y est incarné avec autorité par le scientifique dans son laboratoire, enfilant fièrement le sarrau blanc comme un superhéros.
L’usage d’instruments de mesure techniques comme le microscope y est central et agit comme une porte d’entrée vers l’innovation à la fois industrielle et sociale. Cette représentation puise dans un lot de représentations étroites, où la science est valorisée avant tout pour ses applications technologiques et économiques, pour sa capacité de contrôle sur la nature et la société, relayée par des images des impacts des changements climatiques, des activités industrielles de production d’énergie, de contrôle de la forêt, de guerres et de contestations politiques. Malgré la présence d’une artiste peintre, à la fin, qui semble inspirée par ce savoir, sans réel ancrage dans une activité artistique engagée, ou encore du sport davantage présenté comme une activité aux couleurs de l’Université Laval que comme formation, les images et séquences de la vidéo présentent une image naïve et héroïque de la science et marginalisent une vision pluraliste de l’université et des nombreuses disciplines qui la composent. En effet, où sont la linguistique, l’histoire, les sciences politiques ou l’anthropologie, pour ne nommer que celles-là? Les complexités et les ambiguïtés inhérentes à la production du savoir sont absentes. Ainsi, la vidéo rend peu justice à la diversité des savoirs qui doit être mobilisée pour comprendre les défis contemporains et permettre de développer des solutions adéquates pour y faire face. Ainsi, elle passe sous silence ce que l’Université Laval est et doit rester : une université complète.
Même si la diversité des personnes y est bien représentée, si on est plus attentif, on se rend aussi compte que les femmes semblent être majoritairement représentées dans des rôles de réceptrices du savoir ou d’accompagnatrices, tandis que les hommes dominent les rôles de leadership scientifique. Enfin, plusieurs aspects cocasses méritent d’être soulevés. Les ouvrages de référence que l’on aperçoit ne sont pas rédigés en français, mais en vietnamien et en anglais, pointant vers les définitions des mots Polite et Prestige. Ces ouvrages sont feuilletés rapidement plutôt que d’être lus attentivement et analysés. À quoi servent-ils?
De même, le diplôme indique un grade de Baccalauréat Sciences des Art qui ne semble pas être délivré à l’Université Laval.
Certes, on pourrait le choix de cette vision sans équivoque d’une université promouvant une science presque exclusivement appliquée, qui ne viserait que les disciplines tournées vers l’innovation, plus facile à financer. On pourrait également excuser ce choix en raison des contraintes de format d’une vidéo. Cependant, comble de l’ironie et de la maladresse institutionnelle, la chanson qui accompagne la vidéo – bien qu’écrite et composée par un diplômé de l’Université Laval – est une critique virulente dénonçant les excès de la surproduction, de la surconsommation et d’un monde superficiel uniquement basé sur l’image. Cette vision désincarnée de l’Université nous rappelle l’immense travail à accomplir pour faire valoir l’importance des mots, des images, des représentations et pour valoriser l’autre « super pouvoir » que peut offrir leur analyse critique.
Vous êtes ici | Paroles et chanson de Patrice Michaud
Je suis le petit roi, je dis n’importe quoi, ma pelouse est parfaite
J’ai fait cent fois le tour, j’ai magasiné pour
J’ai l’âge du bronze, l’âge du bronzage
Pas toujours eu la tête au-dessus du cou
Depuis l’invention de la roue
Et j’avance à crédit, à grands tours de magie
Tout ça finira bien par disparaître
Abracadabra
Et maintenant, aujourd’hui, vous êtes ici
Rien de plus, rien de moins
Quand on regarde assez loin
Tous les géants sont petits
Tous les géants sont petits, ouh-ouh
Je veux polir mon image, je veux faire étalage
Je veux m’acheter un drone et filmer mon voyage
Sur le chemin de briques jaune
Et pourtant, chaque nuit, je pleure et je me dis
« À ce qui cœur qui traîne dans la rue
Parmi les milliers d’invendus? »
Et maintenant, aujourd’hui
Vous êtes ici, vous êtes ici, ouh-ouh